Expert indépendant et offres publiques : quel cadre et recommandations de l'AMF ?
par Thomas Hornus, associé chez EuroLand Corporate
Dans le cadre de certaines offres publiques d’acquisition (OPA) et des opérations financières impliquant un retrait de cote, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) exige la nomination d’un expert indépendant pour garantir l’équité financière de l’offre, protéger les actionnaires minoritaires et assurer la transparence des opérations.
Sur la base de l’Instruction DOC-2006-08 et de la Recommandation DOC-2006-15 de l’AMF, nous résumons ci-dessous les principales caractéristiques de cette mission.
Quand l’expertise indépendante est-elle obligatoire ?
Conformément aux articles 261-1 et 262-1 du règlement général de l’AMF, la désignation d’un expert indépendant lors d’une offre publique est obligatoire dans les cas suivants :
existence de conflits d’intérêts : Lorsque l’offre est initiée par un actionnaire majoritaire ou lorsqu’un conflit d’intérêts est identifié au sein du conseil d’administration de la société cible.
retrait obligatoire (squeeze-out) : Si l’initiateur de l’offre envisage de procéder à un retrait obligatoire à l’issue de l’opération.
augmentation de capital avec forte décote : Lorsqu’un émetteur réalise une augmentation de capital réservée avec une décote jugée significative.
Dans ces situations, la nomination de l’expert indépendant est destinée à garantir une évaluation objective du prix proposé dans l’offre.
Quels critères d’indépendance pour l’expert ?
L’expert doit être indépendant de l’initiateur de l’offre et de la société cible. À ce titre, l’AMF considère qu’un expert est en situation de conflit d’intérêts lorsqu’il :
a des liens financiers, capitalistiques ou juridiques avec l’initiateur de l’offre ou la société cible.
a réalisé une évaluation financière de la société concernée au cours des 18 mois précédant sa nomination.
a conseillé une des parties impliquées (initiateur ou société cible) au cours des 18 derniers mois.
détient un intérêt financier dans la réussite de l’offre.
Si l’un de ces critères est rempli, l’expert ne peut être retenu pour mener l’évaluation indépendante de l’offre.
Contenu du rapport d’expertise
L’expert indépendant doit produire un rapport détaillé qui permet au conseil d’administration de la société visée de rendre un avis motivé sur l’offre. Selon l’AMF, ce rapport doit contenir la présentation de l’expert, la définition du périmètre de la mission, le détail des diligences menées, la méthodologie d’évaluation financière et la conclusion sur l’équité du prix offert accompagnée d’une attestation de conformité.
L’AMF impose également que l’expert fournisse une justification détaillée de sa rémunération et des moyens mis en œuvre pour mener sa mission.
Quelles méthodes de valorisation ?
L’expert doit appliquer une approche multicritères pour évaluer la société cible. Selon l’AMF, deux grandes familles de méthodes doivent être prises en compte : les approches analogiques (méthode des multiples boursiers et analyse des transactions récentes sur des entreprises du même secteur) et l’approche intrinsèque via l’analyse des DCF, de l’actif net réévalué ou via l’approche par les flux de dividendes.
L’expert doit expliquer la pertinence des méthodes choisies et justifier l’exclusion éventuelle d’une approche.
Une indépendance et une transparence renforcée
L’AMF a précisé dans sa Recommandation DOC-2006-15 les principes visant à renforcer la crédibilité et la transparence des expertises indépendantes, avec
1. Renforcement des obligations des conseils d’administration
Le conseil d’administration ou le comité ad hoc chargé de nommer l’expert doit :
Sélectionner un expert compétent et reconnu pour garantir la qualité de l’évaluation.
Superviser les travaux de l’expert et s’assurer que celui-ci dispose d’un accès à toutes les informations nécessaires.
Rendre public son avis motivé basé sur le rapport de l’expert.
2. Conditions de rémunération et obligations déontologiques
La rémunération de l’expert ne doit pas être liée à l’issue de l’offre pour éviter tout risque de partialité.
L’expert doit se doter d’un code de déontologie précisant ses obligations en matière d’intégrité et d’indépendance.
Ses rapports doivent être soumis à un contrôle qualité interne pour garantir leur fiabilité.
3. Transparence et interaction avec les actionnaires minoritaires
L’AMF recommande que l’expert mette à disposition ses conclusions pour que les actionnaires minoritaires puissent les examiner.
L’expert doit prendre en compte les observations des actionnaires et répondre aux questions sur sa méthodologie et ses conclusions.
Des nominations récemment remises en cause
Dans le cadre de la simplification de sa structure, le groupe Bolloré a lancé des offres publiques de retrait, nécessitant la nomination d’un expert indépendant, sur plusieurs de ses filiales cotées. L'AMF s’est opposé à la nomination de l’expert initialement retenu considérant que son indépendance n’était pas assurée en raison de liens jugés trop étroits avec le groupe Bolloré, remettant en question l'indépendance de l'expertise.
Dans d’autre cas, ce sont les minoritaires de la cible de l’offre eux-mêmes qui critiquent la nomination de tel ou tel expert et demandent à l’AMF de statuer, soit qu’ils considèrent là encore que l’indépendance de l’expert n’est pas conforme, soit qu’ils critiquent la pertinence des méthodes de valorisation utilisées ou encore la cohérence du prix proposé.
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