E-commerce: Vents contraires sur la modePar Raphaël Génin, analyste financier
Début février, la fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD) a publié son bilan annuel du e-commerce en France. Avec près de 160 milliards d’euros dépensés en 2023, les ventes de produits et services en ligne affichent une croissance dynamique de +10,5%.
L’effet prix a contribué à plus de la moitié de cette progression, avec un panier moyen en hausse de +5,4%. L’effet volume s’est toutefois fait ressentir avec un nombre de transactions supérieur de +4,9% par rapport à l’année 2022.
Alors que le tableau général dépeint par les chiffres du e-commerce semble positif, il est néanmoins nécessaire de constater la dichotomie entre les ventes de services et les ventes de produits.
Les ventes annuelles de produits ont été impactées par une baisse de -3% des transactions en dépit d’un panier moyen en hausse de +1%. Au total, le chiffre d’affaires réalisé via les ventes de produits en ligne atteint 61,2 milliards d’euros, soit une baisse de -1,8% par rapport à l’année précédente.
Les ventes de services ont quant à elles fortement progressé avec des transactions en hausse de +12% et un panier moyen qui a augmenté de +7%.
Avec une inflation atténuée mais toujours persistante au cours du deuxième semestre, les acheteurs en ligne ont donc réalisé des arbitrages. Ces derniers ont notamment bénéficié au secteur du tourisme. Les sites de voyages ont enregistré une croissance de +13% de leur chiffre d’affaires en 2023.
À l’inverse, les secteurs où il existe une offre de seconde main ont beaucoup souffert de ces arbitrages. C’est le cas de la mode dont les ventes ont reculé de -5% au cours de l’année 2023.
Le secteur de l'habillement en ligne à la peine
Après l’effervescence observée sur les ventes de vêtements en ligne durant les années Covid, le secteur fait face à différentes problématiques.
Dans un premier temps énormément de consommateurs sont revenus à leurs anciennes habitudes et les magasins physiques gènerent aujourd’hui près de 70% des ventes de vêtements. En février 2021, ce chiffre était tombé à 35%.
Le boom des ventes en ligne s’est donc progressivement essoufflé, réfutant la thèse de la prévalence du e-commerce dans la mode post-covid. La reprise du travail au bureau et le retour des évènements physiques ont incité les gens à essayer des vêtements en magasin avant de faire un achat, tandis que les e-commerçants ont eu du mal à offrir l’expérience tactile que les consommateurs recherchent.
Cette tendance est largement observable lorsqu’on compare les cours de bourse des e-commerçants (Asos, Boohoo, Zalando) et des magasins (Mark & Spencer, Frasers) entre 2019 et aujourd’hui.
Évolution des cours de bourses des e-commerçants vs retailers physiques (2019-2023)
Source: Facstet
Les retailers en ligne ont également dû faire face à une hausse importante de la plupart de leurs coûts. L’augmentation des prix de l’énergie et des frais de transport a été significative depuis le début de la guerre en Ukraine.
À cela se sont également ajoutés des défis logistiques majeurs pour les e-commerçants. En effet les retours d’articles, inhérents à la vente de vêtement en ligne, représentent un poids logistique et financier conséquent qui a conduit de nombreux acteurs du secteur à investir dans l’automatisation de leurs entrepôts pour optimiser ce poste de dépenses.
Le coût des campagnes de marketing digital, notamment auprès de Google a lui aussi augmenté, pesant sur les marges et faisant d’internet un canal de vente de plus en plus onéreux.
Enfin, l’arrivée de concurrents asiatiques ultra bon marché en Europe à l’image de Shein ou de Temu a limé les parts de marché des principaux retailers européens.
L’évolution des résultats d’Asos, un spécialiste britannique de la mode en ligne, atteste de ces vents contraires sur le secteur:
Évolution du résultat net d'Asos (2019-2023):
Source: Société, EuroLand Corporate
Face à ces difficultés certains e-commerçants spécialisés dans la mode investissent dans des boutiques physiques, à l’image de Sosandar qui a prévu de construire huit magasins cette année.
D’autres comme Showroomprivé (SRP) se diversifient en s’exposant à la vente de services en ligne. Le groupe français propose notamment une offre Voyages & Loisirs dont le chiffre d’affaires a augmenté de +23% au troisième trimestre 2023 ainsi qu’une marketplace et des activités de services d’accompagnement des marques dans leur stratégie média et marketing.
Ces offres plus dynamiques viennent contrebalancer le ralentissement de la vente de vêtements et préserver la croissance du chiffre d’affaires de Showroomprivé.
La croissance du groupe atteint +4,6% sur les neuf premiers mois de 2023 malgré l’ensemble des difficultés rencontrées sur la mode et l’habillement. En 2023, le consensus des analystes table ainsi sur une croissance annuelle de +2,7% pour SRP, largement au-dessus d’Asos (-10,1%), de Boohoo (-13,1%) ou encore de Zalando (-1,7%).
La diversification dans les services permet donc au groupe d’afficher une résilience dans un environnement de marché particulièrement exigeant.
Croissance du CA des e-commerçants spécialisés dans la mode (en%)
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