CMA CGM débarque dans les médias. Par Raphaël Génin, Analyste financier chez Euroland Corporate.
Le paysage médiatique français voit arriver un nouveau visage avec Rodolphe Saadé, l’homme d’affaires à la tête de CMA CGM. L’armateur marseillais de porte-conteneurs est en discussion avec Altice France en vue du rachat intégral de sa filiale Altice Media, qui détient notamment la chaîne BFMTV et la radio RMC.
Le groupe a annoncé un montant d’acquisition de 1,55 Mds€, estimé par les analystes du secteur des médias à 14 fois l’EBITDA d’Altice Media. Une base généreuse qui contraste avec les multiples de valorisation conservateurs observés dans l’industrie.
Ces négociations succèdent à différents rachats réalisés par CMA CGM au sein de l’espace médiatique français. La filiale média du groupe, Whynot Media, regroupe déjà La Provence et Corse Matin, acquises en 2022 pour un montant de 81 M€, La Tribune du Dimanche, ainsi que des participations dans le média numérique Brut et dans M6 (à hauteur de 10%).
Ces différentes acquisitions permettent au leader du transport maritime de se constituer un pôle média fort. Elles confèrent également à Rodolphe Saadé une influence grandissante dans la sphère médiatique hexagonale.
Altice France dans la tourmente
La cession d’Altice Media survient dans un contexte où la maison mère, Altice France, cherche à alléger considérablement son bilan. Endetté à hauteur de 24 Mds€, le groupe est fortement sous pression et mène un programme de désendettement pour atteindre un seuil de 8 Mds€ de dettes.
Alors que Patrick Drahi avait auparavant exclu toute possibilité de vendre BFM, cette offre considérable à près de 14 fois l’excédent brut d’exploitation (multiple supérieur à TF1 et M6) semble difficile à décliner même si elle ne réglera pas à elle seule le problème de l’endettement chez Altice.
Par ailleurs, le groupe est rentré dans un bras de fer avec ses créanciers dans lequel Drahi a conditionné l’utilisation du produit des cessions récentes à la réduction d’une partie de ses dettes.
Cours de l'obligation Altice France (échéance 2027)
Source : Bloomberg, EuroLand Corporate
Des valorisations attractives dans les médias
Le multiple affiché pour la transaction (14x EBITDA) entre Altice Media et CMA CGM ne fait pourtant pas écho aux valorisations observées dans le secteur des médias, et ce alors que ses acteurs cotés présentent des situations financières solides.
TF1 s’échange actuellement à 2,1x EBITDA malgré une position de trésorerie nette de 505,1 M€ au terme de son exercice 2023.
M6, dont la rentabilité opérationnelle avoisine les 23%, affiche également une situation de trésorerie nette très confortable (343 M€) mais ne se traite qu’à 3,5x EV/EBITDA. Enfin, NRJ Group, également rentable et en situation de trésorerie nette présente une valorisation de 4,2x son EBITDA.
Le constat est similaire chez des acteurs de taille plus modeste. La société Reworld Media, qui avait notamment racheté les actifs digitaux d’Unify (Marmiton, Doctissimo) à TF1 en 2022 affiche une valorisation modeste (5,3x EBITDA) malgré un bilan solide et une dette nette maitrisée (1,8x EBE 2023).
L’écart important observé sur l’acquisition d’Altice Media pourrait alors ouvrir la voie à des revalorisations sur un secteur historiquement bon marché et dont l’intérêt financier (et stratégique) ne semble pas valorisé par les investisseurs.
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