Entretien avec David Ganozzi, gérant de Fidelity Patrimoine
MonFinancier.com : Le premier semestre va bientôt s'achever…. Quel bilan peut-on faire de ces six mois sur les marchés ?
David Ganozzi : Cela a été un peu agité en fin de période mais au final le bilan est plutôt positif. Les marchés actions ont pris 7/8% depuis le début de l'année en année glissante. C'est en gros la performance annuelle en 6 mois. Sur l'obligataire, il est en hausse d'un peu plus de 1% si on prend l' « investment grade » européen. Les mouvements de marché qu'on a observé sont plutôt en ligne avec les anticipations annoncées en début d'année.
MonFinancier.com : Est-ce donc une correction ou une consolidation ?
D.G : Pour le moment, le mouvement baissier qui était à l'oeuvre ces dernières semaines, était plus de l'ordre de la correction. Les marchés actions avaient énormément progressé alors, ils avaient besoin de reprendre leur souffle. Derrière cette correction sur les actions et sur l'obligataire, les opérateurs s'interrogent sur la politique monétaire que va adopter la Réserve fédérale américaine.
MonFinancier.com : La Réserve fédérale accapare tous les esprits… Dans le cas où elle change de cap dans sa politique monétaire, est-ce que cette décision va obérer le redressement de l'économie américaine ?
D.G : Le point de départ aux Etats-Unis est une politique monétaire extrêmement accommodante. Ce n'est pas une situation normale. On part donc d'une situation exceptionnelle. Les taux des Fed funds, c'est-à-dire les taux courts, sont au plus bas historique à près de 0%. Et ces mesures non conventionnelles, avec des achats massifs de titres de dettes, ont permis de maintenir des taux, y compris les taux longs, à des niveaux très bas. Il est évident que cette politique n'allait pas durer éternellement. La Fed commence à parler pour l'instant d'une réduction de ces rachats. On est loin de la perspective d'une hausse des taux courts mais aussi du séisme évoqué par certains. La Fed fait en effet preuve d'une certaine diplomatie, d'une certaine pédagogie pour préparer les esprits. Elle ne fait pas cela sciemment pour déstabiliser les marchés, mais parce que l'économie va mieux. Les chiffres macroéconomiques publiés dernièrement sont plutôt encourageants. Hormis un fléchissement de l'ISM en mai, les chiffres de l'immobilier, de l'emploi sont globalement bons, ce qui préjuge de la bonne tenue de l'économie américaine. On ne peut pas avoir une Fed qui fait tourner la planche à billets et une économie américaine qui va bien…
MonFinancier.com : Les marchés sont très nerveux à l'idée d'un« sevrage » comment va-t-elle procéder pour ne pas créer de panique ?
D.G : La Fed va graduellement réduire le robinet et voir l'effet que cela a sur l'économie américaine. Ce sont des gens pragmatiques… La réaction des marchés actions est donc exagérée, et cette mauvaise compréhension du message de Ben Bernanke a été prétexte à prendre ses bénéfices. Ben Bernanke n'a jamais dit qu'il coupait le robinet brutament mais qu'au lieu d'acheter 85 milliards USD , la Fed n'en achèterait plus que 65 milliards … Au contraire, cela devrait être positif pour les marchés actions puisque cela implique que la croissance est présente. Tout cela se fait sans contraintes sur l'inflation, c'est-à-dire qu'en termes d'inflation, nous sommes sur des niveaux corrects, maitrisés. La Fed se serait mise dans une situation compliquée dans le cas contraire….
MonFinancier.com : Sur le front obligataire quels sont les mouvements qui pourraient s'opérer ?
D.G : Compte tenu des niveaux actuels, cette inflexion n'est pas une bonne nouvelle pour l'obligataire, c'est une évidence. Si les choses se passent bien pour l'économie américaine après le Quantitative Easing, il y aura une phase haussière sur les taux alors que depuis 20 ans, les taux n'ont fait que baisser pour atteindre des niveaux historiques. A quelle vitesse se fera l'ajustement ? C'est encore difficile à le dire. Nous ne sommes pas dans une bulle obligataire parce que le monétaire est très bas. Il n'y a aucun risque inflationniste à court terme aux Etats-Unis, et donc la hausse des taux devrait se faire de manière très progressive. Et donc (supprimer) C'est ce paramètre que le marché est en train de digérer actuellement. Ce n'est pas sur l'obligataire qu'un investisseur peut gagner beaucoup mais le risque qu'il y ait un mouvement violent à la hausse est également à exclure. L'impact d'un arrêt ou d'une réduction des mesures de QE est également difficile à quantifier….
MonFinancier.com : Il y a encore 3 ans, les émergents étaient les chouchous des investisseurs. Désormais on leur tourne le dos… Pourquoi brûler ce qu'on a adulé ?
D.G : La réaction des investisseurs est exagérée. Il y a plusieurs raisons à cela : certes il y a un petit ralentissement des pays émergents, mais pour l'instant rien d'inquiétant. Les opérateurs ont peur d'un ralentissement brutal de l'économie chinoise. Alors que dans la réalité, cette baisse de régime est extrêmement limitée. Les problématiques de coûts, de compétitivité touchent désormais ces pays alors qu'elles qu'ils bénéficiaient par le passé des vagues de délocalisation. La montée en gamme de ces pays, fait qu'ils perdent de leur compétitivité. Ce phénomène n'est pas nouveau, il est structurel et lié au développement. Il y a eu un gros phénomène de mode. Cette récente défiance est exagérée mais aussi on a considéré pendant des années ces pays comme des eldorados. Alors que dans ces pays, il existe du risque politique comme on le voit avec la Turquie… Les émergents peuvent être mis en portefeuille dans une optique de diversification. La croissance de ces pays là reste encore honorable.
MonFinancier.com : Pour le semestre à venir, quels sont d'après vous les thèmes de marché qui seront à surveiller étroitement ?
D.G : D'un point de vue macroéconomique, la tenue de la croissance sera un thème majeur et important pour les marchés actions. Le scénario le plus probable est un raffermissement de la croissance. La croissance devrait se maintenir sur des niveaux corrects. Si on reste dans un environnement où la hausse des taux se poursuit, il faut qu'il y ait de la croissance pour que les marchés actions résistent. Il faudra surveiller la zone euro parce que les choses s'améliorent dans la région. On pourrait avoir de bonnes surprises, cela pourrait donc conduire à une surperformance des marchés actions européens. Il y a beaucoup de pessimisme. La Fed bien sur sera également à surveiller car elle va guider de façon précise et permanente les anticipations de marché. L'environnement ne sera pas donc très porteur pour les marchés obligataires. Si la volatilité est au rendez vous, les marchés actions devraient bien terminer l'année.
MonFinancier.com : Et du point de vue des matières premières ?
D.G : C'est un peu compliqué… Si la croissance se raffermit dans les prochains mois, on pourrait retrouver un certain intérêt pour cette classe d'actifs, qui est assez en retard par rapport aux autres depuis le début de l'année. Pour le moment, nous avons une position assez neutre sur les matières premières. Mais au bout d'un certain moment, il faut en remettre un peu, d'autant plus qu'elles ont beaucoup baissé. La contrepartie de cette baisse des prix, c'est que la croissance est de retour. La faiblesse des cours des matières premières, génère de la désinflation, ce qui est de bon augure pour les banquiers centraux. Cela leur enlève de la pression . C'est également une bonne nouvelle pour la croissance car c'est du pouvoir d'achat supplémentaire pour les consommateurs.