Par Florentine Loiseau Ne nous voilons pas la face, la crise souveraine, qui a débuté en mai 2010 est très grave, avec des conséquences potentiellement beaucoup plus dévastatrices que la crise des subprimes. Mais elle nous offre également l’opportunité de tirer les leçons pour ne pas répéter les erreurs du passé et résoudre la première crise financière globale de notre histoire.
Depuis un mois, le climat qui règne sur les marchés est mortellement anxiogène. Les hypothèses les plus sombres sont anticipées par les marchés. Une implosion de la zone euro, un retour à la drachme, une récession économique mondiale, sont intégrées dans les valorisations qui pour le coup deviennent complètement absurdes. L’hypothèse d’une faillite imminente de la Grèce est déjà « pricé » par le marché avec un deux ans grec qui se négocie aux portes des 80%, du jamais vu !
A ce stade de la crise, où les métastases grecques prolifèrent pour contaminer ces partenaires, les marchés, plongés dans l’incertitude sont prêts à tout entendre, y compris une faillite de la Grèce.
Car s’il y a bien une chose que les marchés détestent par-dessus tout, c’est l’inconnu, l’incertitude. La faillite de la Grèce est à ce titre un événement historique qui n’a pas de précédent, ce qui déclenche un mouvement de panique car on plonge dans l’inconnu. Mais ce n’est pas tant le spectre d’un défaut qui hante les marchés, que l’absence de réponses politiques sur comment, concrètement l’Europe pourrait organiser la restructuration de la Grèce. Les marchés n’ont peut être jamais eu autant besoin d’une vision, d’une trajectoire à long terme, même si le chemin promet d’être long et chaotique.
Les dirigeants européens ne semblent pas prendre conscience de l’urgence et de la gravité de la crise. Pourtant celle ci nous offre une chance unique de tirer les leçons de la crise des subprimes. Pour l’instant, les marchés affolés et livrés à eux mêmes, n’anticipent qu’un seul scénario, le scénario du pire, qui passe par l’implosion de la zone euro. Mais c’est oublier qu’une sortie par le haut est possible. Cela passe par la création d’un Etat fédéral européen. On a tort de sous estimer la force des Etats, qui réside dans leur capacité à donner une perspective de long terme qui insuffle la confiance. Le concept des euro-obligations, qui permettrait de mutualiser les dettes et les risques serait à ce titre une avancée majeur sur le plan de la gouvernance économique. Mais selon le couple franco allemand, l’émission d’eurobunds ne peut être que l’aboutissement d’un processus de convergence fiscale et budgétaire entre les Etats membres. On peut les comprendre, car en soit les eurobunds fonctionnent sur le même principe que les subprimes, dont la clef du succès reposait sur la dilution du risque. Si les eurobunds doivent être l’aboutissement d’un processus politique, pourquoi ne pas essayer de créer des obligations communes sur le très court terme ? À 3 ou 6 mois par exemple, cela serait suffisant pour permettre aux Etats en proie aux turbulences des marchés de ne jamais être à court de liquidités, sans payer des taux prohibitifs.
Pour soulager les tensions sur les pays périphériques, la BCE pourrait augmenter son programme de rachat d’actifs (débuté en mai 2010 et qui totalise 140 milliards d’euros) en mettant l’accent sur les obligations italiennes et espagnoles. Ce programme d’assouplissement quantitatif n’aurait rien à envier au QE2 des Etats-Unis et leur 600 milliards de dollars. Sans aller jusque là, la BCE peut et devrait utiliser cet outil qui a le mérite d’être immédiatement efficace car elle apaiserait les tensions sur les taux d’intérêt, en fournissant une liquidité abondante ce qui réduirait par ailleurs la volatilité. Sans oublier qu’un assouplissement quantitatif pèserait sur le cours de l’euro, ce qui pourrait donner un petit coup de pouce salutaire aux membres de la zone euro, dont le déficit de compétitivité mine la croissance.
Il n’en reste pas moins qu’un QE « made in Europe » soulève des réticences, parfois épidermiques. Jürgen Stark, et avant lui Axel Weber, les faucons de la Bundesbank, ont préféré démissionné de leur poste plutôt que de cautionner une politique monétaire expansive.
Dans ce cas, pourquoi ne pas renforcer les prérogatives du FESF, censé prendre le relais de la BCE ? Gilles Moec, chef économiste à la Deutsche Bank propose de transformer le fonds européen en banque. « Le FESF deviendrait une contrepartie de la BCE, cela réduirait le risque de la banque centrale puisqu’elle aurait en face d’elle un organisme garanti par les Etats membres les mieux notés. » Dans ce scénario, le FESF pourrait acheter de la dette souveraine sur le marché primaire afin d’apaiser l’envolée des spreads des pays fragiles, tandis que les Etats utiliseraient l’argent frais pour recapitaliser les établissements bancaires.
D’ailleurs, c’est cette nécessité de recapitaliser, ou plutôt la perte de confiance dans la solidité du secteur bancaire, qui a poussé la crise à son paroxysme en cristallisant les angoisses du marché. Pourtant, les stress test publiés en juillet avaient tenté de rassurer sur la solidité du secteur bancaire, et presque toutes avaient passé avec succès cet exercice (il est vrai de pure communication). Mais c’est oublier que la confiance est hyper volatile, d’autant plus dans ce contexte aussi versatile, où la moindre rumeur telle qu’une dégradation des notes des quatre banques par Moody’s (qui bénéficient pourtant de bonnes notes) peut les faire chuter de 15%.
On dit que la confiance n’a pas de prix, en revanche la défiance, elle, peut couter très chère. En l’occurrence, 60 milliards d’euros, c’est le montant total de la capitalisation boursière partie en fumée depuis le début de l’année pour les quatre mousquetaires. (Crédit agricole a fondu de 12 milliards d’euros, 20 milliards d’euros pour la Société générale tandis que BNP a vu sa valeur boursière perdre 28 milliards d’euros).
Il est plus que temps que le secteur bancaire prenne conscience que le manque de transparence et l’opacité qui y règne en maitre se traduit par une perte de confiance dans leur capacité à faire face à l’aggravation de la crise souveraine. Les banques ont d’ailleurs tellement confiance entre elles qu’elles préfèrent déposer leurs liquidités auprès de la BCE plutôt que de se prêter entre elles, au risque de gripper le marché interbancaire. Or la liquidité, c’est le sang de l’économie. On l’a constaté avec Lehman Brother, le fossé entre crise de liquidité et crise de solvabilité est mince. D’où l’urgence de recapitaliser substantiellement les banques. A quelle hauteur ? Là est toute la question car personne ne saurait évaluer le besoin supplémentaire en fonds propres des banques européennes, les estimations allant du simple (le FMI évoque 200 milliards) au quintuple (une grande banque américaine table sur 1 000 milliards).
Enfin, pour contrer la spéculation bête et méchante, pourquoi l’Europe n’interdit pas l’achat de CDS à nu ? Après tout, quel est l’intérêt de souscrire une assurance contre un défaut de payement sur un émetteur alors que l’on ne détient pas de créances sur celui-ci? Acheter des CDS sur la dette grecque, espagnole ou italienne alors que l’on ne détient pas d’obligations de ces pays périphériques revient à spéculer contre ces Etats en pariant sur l’aggravation de la crise souveraine. Cela explique en partie pourquoi le CDS à 5 ans de la France ne cesse d’augmenter pour atteindre 190 points de base (une prime de risque plus élevée que le Pérou, le Chili et même la Colombie pour ne citer qu’eux) alors que le rendement de l’OAT ne cesse de baisser. En clair, les investisseurs se réfugient sur le marché obligataire (Gilt, T notes, Bund et OAT) qu’ils considèrent comme un marché « refuge » tandis que certains spéculateurs en herbe parient sur le fait que la France est la prochaine sur la liste dans le road map dévastateur des marchés.