Mardi 28 octobre

La destruction créatrice : Un nouvel équilibre entre l’État et l’Entreprise

par Ilan Free, ECM analyste chez Euroland Corporate


La destruction créatrice n’est pas une théorie économique abstraite, mais une réalité vécue par les entreprises, les salariés et les États. Elle décrit ce mouvement permanent où l’innovation balaie l’ancien pour laisser place au nouveau, ce cycle de disparition et de renaissance qui fonde le dynamisme du capitalisme. En honorant Philippe Aghion (ainsi que Peter Howitt et Joel Mokyr) du Prix Nobel d’économie 2025, le jury a récompensé bien plus qu’un chercheur : il a salué une idée redevenue centrale, celle d’un capitalisme vivant, fondé sur la concurrence, le risque et la mobilité.

Mais à l’heure où l’Europe, et singulièrement la France, tentent de concilier ambition industrielle, transition écologique et souveraineté économique, une question s’impose : comment redéfinir le rôle de l’État sans étouffer celui de l’entreprise ? Trop d’intervention tue l’initiative, trop peu fragilise la cohésion. Entre planification et liberté économique, il faut désormais inventer un nouvel équilibre.


Le moteur du progrès, pas un chaos aveugle

Le concept de destruction créatrice, formulé par Joseph Schumpeter, décrit ce cycle permanent où l’innovation remplace l’existant, en redistribuant les cartes de la richesse et du pouvoir économique. Chaque révolution industrielle a suivi ce mouvement : l’électricité, l’automobile, le numérique, et demain l’intelligence artificielle. Ce processus n’est pas linéaire, il avance par vagues successives, chacune plus rapide que la précédente.

Le graphique ci-dessous illustre cette dynamique : chaque cycle technologique connaît une phase de croissance, de maturité, puis de déclin, avant d’être remplacé par un nouveau. La destruction créatrice, c’est précisément ce moment de bascule où l’ancien modèle cède la place au nouveau.

Ce processus n’est pas un désordre, mais un mécanisme d’adaptation. Il permet de libérer le capital, les talents et les idées des structures devenues inefficaces. Les périodes de transition sont souvent douloureuses, mais nécessaires : sans renouvellement, les économies s’enlisent dans la rente et la protection des acquis. Philippe Aghion le souligne : la croissance ne vient pas de la préservation, mais du mouvement

Source : Adapted from Hargroves, K. and M. Smith (2005) Natural Advantage of Nations: Business Opportunities, Innovation and Governance for the 21st Century. London: Routledge.


L’État stratège ou l’État refuge

C’est toute la réflexion d’Aghion : comment orienter la destruction créatrice sans la bloquer. L’État, selon lui, a un rôle à jouer, mais un rôle d’impulsion plutôt que de direction. Il doit protéger les individus, non les structures, encourager la prise de risque, financer la recherche et garantir la mobilité des compétences.

Ce cadre permet à l’innovation de se déployer dans un environnement où les transitions sont accompagnées, sans être freinées.

Dans le monde de l’entreprise, cette tension se retrouve à chaque étape : faut-il consolider ou transformer ? Faut-il défendre un modèle ou le dépasser ? L’histoire montre que la résistance au changement coûte toujours plus cher que le changement lui-même. L’économie moderne ne récompense pas la taille ou l’ancienneté, mais la capacité à anticiper et à s’adapter.

C’est aussi la lecture de Daron Acemoglu, l’un des anciens doctorants d’Aghion et prix Nobel 2024. Ses travaux rappellent que l’innovation n’est féconde que dans des environnements institutionnels ouverts, où la concurrence joue son rôle de sélection naturelle. Lorsque des rentes, publiques ou privées, verrouillent l’accès au marché, la destruction créatrice s’arrête, et la croissance avec elle.


L’exemple Kodak : la peur du changement

L’exemple de Kodak illustre mieux que tout la mécanique du déni. Leader mondial de la photographie pendant des décennies, l’entreprise avait inventé l’appareil photo numérique dès 1975. Mais par crainte de cannibaliser son cœur de métier, elle a choisi de l’ignorer. L’innovation est venue d’ailleurs, et le marché l’a balayée.

Cette courbe raconte le paradoxe de la réussite : plus une organisation domine, plus elle a à perdre à changer. La destruction créatrice agit alors comme un révélateur, distinguant les entreprises qui savent se transformer de celles qui s’arc-boutent sur leur passé.

Les mêmes mécanismes sont à l’œuvre dans tous les secteurs : énergie, santé, industrie, services numériques. Les acteurs qui s’accrochent à leurs positions historiques finissent toujours par être dépassés. Ceux qui acceptent de se disrupter avant d’être disloqués par le marché s’en sortent mieux.


Vers un nouvel équilibre entre liberté et protection

L’État et l’entreprise ne sont pas adversaires. Ils sont deux leviers complémentaires de la même dynamique : celle de l’adaptation. L’un crée les conditions, l’autre les met en œuvre. Trop d’intervention publique fige les marchés, trop peu fragilise la cohésion sociale. C’est cette frontière mouvante qu’Aghion s’attache à redessiner. L’État doit financer l’exploration, pas l’exploitation ; encourager les innovations de rupture, pas prolonger les modèles épuisés.

Pour les entreprises, le message est clair : la stabilité n’est pas une stratégie. L’innovation ne doit pas être perçue comme une menace, mais comme une chance de redéfinir leur raison d’être. Ce nouvel équilibre, fondé sur la réallocation permanente du capital, du savoir et du travail, constitue le cœur d’un capitalisme rénové, ni dirigiste ni dérégulé, mais vivant.


Le courage du mouvement

La destruction créatrice n’est pas un chaos à craindre, mais une condition de vitalité économique. Elle rappelle que le progrès naît de la liberté d’entreprendre et de la capacité à se réinventer. Sans cette dynamique, toute société finit par se scléroser dans la protection de ses acquis.

Philippe Aghion et Daron Acemoglu défendent une vision exigeante du capitalisme : un système où l’innovation ne doit pas être bridée par la peur du risque ni étouffée par la rente. L’État a un rôle à jouer, certes, mais celui d’un arbitre, pas d’un joueur. Il doit garantir la fluidité du marché, la mobilité des talents et la stabilité du cadre institutionnel. Rien de plus, mais rien de moins.

L’équilibre à trouver n’est donc pas entre liberté et protection, mais entre liberté et responsabilité. Aux entreprises d’assumer le risque de l’innovation. À l’État de préserver un environnement concurrentiel équitable. Le reste appartient au marché, à sa capacité d’éliminer ce qui ne fonctionne plus et de faire émerger ce qui doit advenir.

Car c’est bien dans cette tension créatrice, et non dans la préservation du statu quo, que se loge la promesse du progrès.


EuroLand Corporate, premier Listing Sponsor du marché Euronext Growth Paris, accompagne plus de 60 sociétés cotées, dont 38 en qualité de Listing Sponsor, dans leur stratégie de structuration et d’optimisation de leur communication financière.


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