Bilan 2024 de la musique en France - Retour vers le futur
par Renan Kerourio, analyste financier chez Euroland Corporate
L’industrie musicale française en 2024 : entre croissance numérique et résilience du physique
Le récent rapport de la SNEP nous présente un bilan du marché français de la musique. En 2024, le marché français de la musique enregistrée est dynamique avec une croissance de 7%, atteignant 1,031 milliard d’euros, son plus haut niveau depuis 2005. Cette performance s’appuie sur une hégémonie du numérique, tout en révélant des paradoxes, comme le retour inattendu du vinyle ou les défis persistants de la rémunération artistique.
Le streaming en pilote, le vinyle en surprenant challenger
Les revenus numériques, moteurs de la croissance, progressent de 9,1% pour atteindre 674 millions d’euros. Le streaming par abonnement domine avec 522 millions d’euros (+11,4%), confirmant son rôle de « poule aux œufs d’or » pour les majors (Universal, Sony, Warner), qui captent 70% des royalties. Le modèle freemium, financé par la publicité, génère 75 millions d’euros (+6%), mais reste marginal face aux abonnements payants. En revanche, le streaming vidéo stagne (-0,1%), signe d’un public moins engagé sur ce format.
Malgré la suprématie du numérique, le physique résiste, avec une hausse de 1,3% à 196 millions d’euros. Le vinyle, symbole de cette résilience, dépasse le CD en valeur pour la première fois depuis 1987 (+5,4% à 98 millions d’euros), porté par les moins de 35 ans et les boutiques artistes (+33% de ventes directes). Les synchros (utilisation de musique dans des films, pubs, jeux) bondissent de 18,9%, tirées par des biopics et les Jeux Olympiques de Paris 2024, tandis que les droits voisins (rémunération des producteurs) grimpent de 2,3%.
Source : Rapport 2024 de la SNEP, Euroland Corporate
Le fossé générationnel et la lente maturation du marché
Le streaming représente 78% du marché, mais son adoption en France reste en retard. Seuls 25,9% de la population souscrivent à un abonnement payant, contre 39,7% aux États-Unis. La croissance des abonnés (+7,3%) est aussi plus lente qu’au niveau mondial (+10,6%). Les moins de 35 ans, principaux acheteurs de vinyles et CD, consacrent plus 24 heures par semaine à écouter de la musique, largement via TikTok qui est décompté comme du temps d'écoute en raison de la multitude de contenus musicaux sur l'appli (6h48 hebdomadaires). À l’inverse, les plus de 50 ans, qui constituent 48,4% de la population, ne représentent que 29,8% des abonnés, soulignant un potentiel inexploité.
Source : Rapport 2024 de la SNEP, Euroland Corporate
Monétisation, diversification et innovation technologique
Pour pérenniser sa croissance, le secteur doit relever plusieurs défis :
Monétiser le freemium : Les revenus publicitaires, bien qu’en hausse, peinent à compenser les faibles taux de conversion vers les abonnements payants.
Séduire les seniors : Les plateformes doivent adapter leurs offres (tarifs groupés, contenus exclusifs) pour capter les +50 ans, moins attirés par le streaming.
Optimiser les coûts du physique : Les usines de pressage, confrontées à des coûts de production élevés et des tensions logistiques, nécessitent des investissements.
Exploiter l’IA : L’intelligence artificielle pourrait personnaliser les recommandations, améliorer la découverte des artistes émergents et optimiser les campagnes marketing.
Par ailleurs, l’équité des rémunérations reste un enjeu brûlant. Si les certifications d’albums explosent (+266 albums certifiés en 2024), les artistes indépendants et les catalogues anciens peinent à rivaliser avec les stars du rap et de la pop, qui trustent les classements. La taxe CNM, instaurée en 2024 pour financer le Centre National de la Musique, pousse aussi les plateformes à ajuster leurs tarifs, risquant de freiner l’adhésion des consommateurs.
Un équilibre fragile entre tradition et innovation
L’industrie musicale française incarne une dualité : elle surfe sur la vague numérique tout en préservant des bastions analogiques, comme le vinyle. Si le streaming assure sa survie, les défis de la maturité du marché, de l’inclusion des seniors et de la juste rémunération appellent à une évolution des modèles. Depuis janvier 2025, Deezer a adopté un modèle de rémunération "Artist-Centric" en partenariat avec la Sacem, visant à offrir une rémunération plus équitable aux artistes. Pour finir, l’IA et les partenariats innovants (séries, jeux vidéo, réseaux sociaux) pourraient dessiner les contours d’une industrie plus résiliente et équitable, à condition de ne pas sacrifier la diversité artistique sur l’autel de la rentabilité.
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