Le nouveau visage du e-commerce français
par Raphaël Génin, analyste chez EuroLand Corporate
Bilan semestriel de la Fevad
Selon les dernières données publiées par la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance), les ventes en ligne en France ont progressé de +7,9% au premier semestre 2025 par rapport à la même période de 2024, confirmant la solidité du secteur dans un climat économique toujours incertain. Cette hausse, légèrement inférieure à celle de l’an dernier (+9,6%), s’explique avant tout par la hausse du nombre de transactions (+11,3%), tandis que le panier moyen recule à 67 euros (-3% pour les produits et -5% pour les services), conséquence du ralentissement de l’inflation, de l’essor du marché de la seconde main et d’une recherche plus marquée de prix bas.
Le chiffre d’affaires des produits progresse de +4%, celui des services poursuit sa dynamique avec une croissance soutenue +10%, porté notamment par la reprise du voyage, de l’hébergement et du transport (+9% selon le panel iCE 100). Les grands sites suivis par ce panel enregistrent une progression de +5,3% de leurs ventes aux particuliers, malgré la baisse du panier moyen, tirée par le sport (+5,8%), l’électronique et l’électroménager (+4,5%) et la décoration (+2,2%), quand la mode (+0,1%) et la beauté (+0,6%) restent quasi stables. À l’inverse, les ventes BtoB reculent de 2,6%, dans un contexte de prudence des entreprises et de ralentissement des investissements.
Selon l’étude d’audience réalisée par Médiamétrie//NetR et la Fevad, 51 millions de Français, soit 80% de la population, ont consulté chaque mois un site du Top 20 e-commerce au deuxième trimestre 2025, un chiffre stable mais en hausse de 1,4 million sur un an. Amazon, Leboncoin et Temu composent désormais le trio de tête, devant Booking, E. Leclerc et Vinted, tandis que Shein signe la plus forte progression du trimestre (+2 millions de visiteurs uniques). Le trafic mobile domine, atteignant jusqu’à 90,6% des visiteurs pour Lidl, preuve d’une digitalisation toujours plus ancrée des usages.
Derrière ces tendances globales, la Fevad observe une évolution structurelle du marché : les consommateurs arbitrent davantage, comparent les prix et s’orientent vers des solutions plus flexibles ou responsables. Mais cette maturité du e-commerce français s’accompagne d’un nouvel enjeu : la percée fulgurante des plateformes chinoises d’utra fast fashion, emmenées par Shein et Temu (désormais tous deux dans le top 10 des sites de e-commerce les plus visités en France), dont la montée en puissance bouleverse les équilibres d’un marché autrefois dominé par les acteurs occidentaux.
Source : FEVAD, Mediamétrie//NETRatings
Des nouveaux acteurs controversés
Après avoir conquis les écrans français à coups de prix dérisoires et de campagnes publicitaires massives, Shein et Temu suscitent autant d’achats que d’inquiétudes. Derrière leur ascension fulgurante se cachent des pratiques qui bousculent le marché et dérangent les autorités. Les accusations s’accumulent : opacité sur les chaînes d’approvisionnement, soupçons de travail forcé, pollution textile massive et manquements en matière de données personnelles. La CNIL a infligé 150 millions d’euros d’amende à Shein pour sa gestion des cookies, et la Répression des fraudes l’a sanctionné de 40 millions pour de fausses promotions. Malgré cela, la marque initie son implantation physique en france, au BHV et dans plusieurs Galeries Lafayette, provoquant la colère des commerçants et des élus parisiens. Son modèle d’ultra-fast fashion, basé sur la surproduction et les prix cassés, apparaît en contradiction avec les ambitions européennes de durabilité. Quant à Temu, il reproduit la même logique d’importation massive et de dumping tarifaire, tout en promettant un jour de “localiser” ses ventes. Pour beaucoup d’acteurs du secteur, cette offensive chinoise ne relève plus d’une simple concurrence, mais d’un déséquilibre structurel menaçant à la fois l’économie locale, l’emploi et les normes sociales européennes.