Jeudi 10 octobre

La loi de finances pour 2024 introduit un nouvel article, le 774 bis du CGI, qui modifie significativement le traitement fiscal des créances de restitution issues de quasi-usufruits. Désormais, ces créances ne sont plus déductibles de l’actif successoral de l’usufruitier, mettant fin à une stratégie d’optimisation fiscale couramment utilisée. Cet article explore les implications de cette nouvelle disposition et ses impacts sur la planification successorale.

La fin des donations de somme d’argent en démembrement


Le nouvel article “anti-abus” 774 bis du CGI prévoit désormais que la créance de restitution d'un quasi-usufruit née d’une donation de la nue-propriété d'une somme d'argent avec réserve de quasi-usufruit n'est plus déductible fiscalement de l’actif successoral de l’usufruitier.

Explications : Le code civil évoque le principe du quasi-usufruit en son article 587 :

“ Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution”

Le montage pour optimiser la fiscalité au moment de la transmission était le suivant : Monsieur Robert, 65 ans a 150 000 € de cash. Il décide de gratifier son fils Pierre en lui donnant la nue-propriété de cette somme d’argent. Pour le calcul de la fiscalité sur cette donation, on applique une décote de 40% car Robert conservera l’usufruit et qu’il a moins de 71 ans (cf article 669 CGI)

Il bénéficie également d’un abattement entre parent et enfant de 100 000 € (renouvelable tous les 15 ans) :

150 000 € - (40% de 150 000 € + 100 000 € ) = - 10 000 €. Aucun impôt ne sera dû sur cette donation (cf tableau ci-après). A titre de comparaison, si Robert avait décidé de donner 150 000 € en pleine propriété cette fois-ci, un impôt sur la transmission de 8 194 € aurait dû être acquitté.

Comme la donation porte sur de l’argent, un bien consomptible par principe, Robert conserve donc un quasi-usufruit sur cet argent. En d’autres termes, il donne la nue-propriété de cette somme d’argent à son fils, sans vraiment se dépouiller car finalement il peut utiliser les 150 000 € comme il le souhaite. Son fils récupèrera cette somme au décès de son père, en exonération totale de fiscalité car il détient une créance de restitution sur la succession de son père.

On peut assimiler ce montage à “donner sans donner” tout en optimisant la fiscalité sur la transmission.

Pour mettre un terme à ce type de montage, le législateur a créé un dispositif anti-abus : désormais la créance de restitution d'un quasi-usufruit née d’une donation de la nue-propriété d'une somme d'argent avec réserve de quasi-usufruit n'est plus déductible de l’actif successoral de l’usufruitier

Dans notre hypothèse, Pierre devra payer des droits de transmission sur les 150 000 € transmis par son père Robert car la somme sera intégrée dans l’assiette taxable aux droits de mutation à titre gratuit (DMTG)


Quelles donations sont concernées ?


Les dispositions anti-abus de l'article 774 bis du CGI s’appliquent aux successions ouvertes à compter du 29 décembre 2023, peu importe la date de la donation de la nue-propriété de cette somme d’argent.

Il n'y a donc aucune tolérance prévue pour les créances de quasi-usufruit nées antérieurement à l’entrée en vigueur de cet article.

Ce dispositif a-t-il un impact plus important pour la planification successorale des contribuables français ?

Lors de la publication de cet article 774 bis CGI, les inquiétudes ont porté sur deux thématiques :

  • En assurance-vie avec le démembrement de clause bénéficiaire prévoyant quasi-usufruit
  • En contrat de capitalisation avec la donation de la nue-propriété a posteriori

Les questionnements étaient d’autant plus légitimes que la loi n’était pas suffisamment claire sur le sujet. Mais bonne nouvelle ! L'administration fiscale a apporté dans son Bofip du 26/09/2024 des éclaircissements sur l'application de l'article 774 bis du CGI.

Grâce aux précisions apportées par la doctrine administrative, nous savons désormais dans quel cas le dispositif anti-abus est applicable ou non.

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La clause bénéficiaire démembrée avec quasi-usufruit

L’administration a confirmé la validité d’une clause bénéficiaire démembrée prévoyant un quasi-usufruit au profit d’un des bénéficiaires. (BOI-ENR-DMTG-10-40-20-20 paragraphe 275).

Le dispositif anti-abus ne s’applique donc pas sur la créance de restitution issue de cette clause bénéficiaire. C’est un soulagement car ce type de clause bénéficiaire revêt de nombreux intérêts.

La technique consistant à démembrer la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie suppose que les sommes versées sur ce contrat par le souscripteur soient démembrées au décès de celui-ci. Ainsi, seront désignés un usufruitier (ou plutôt un quasi-usufruitier dans la mesure où les fonds démembrés portent sur une somme d’argent qui est un bien consomptible) ainsi qu’un ou plusieurs nu(s)-propriétaire(s)


Plusieurs étapes :

1. Rédaction de la clause : La situation la plus courante est qu’un époux désigne son épouse (ou inversement) en tant que quasi-usufruitier et le ou les enfants nus-propriétaires.

2. Décès du souscripteur : L’intégralité des capitaux-décès de l’assurance-vie reviendront au décès du souscripteur à l’usufruitier. Le quasi-usufruitier a donc le droit de dépenser le capital reçu. Le nu-propriétaire est quant à lui, en quelque sorte, un « plein-propriétaire en devenir », puisqu'il est destiné à recevoir, au terme de l'usufruit, la pleine propriété du bien par réunion sur sa tête de l'usufruit et de la nue-propriété.

3. Reconnaissance d’une créance au profit du nu-propriétaire : Toutefois, pour ne pas léser le nu-propriétaire, celui-ci est titulaire d’une créance de restitution qui viendra en déduction de l’actif successoral du quasi-usufruitier. Cette dette viendra ainsi diminuer l’assiette taxable aux droits de succession.

4. Décès quasi-usufruitier : l'enfant nu-propriétaire reçoit le capital en franchise de droits de succession.

Le démembrement de la clause bénéficiaire revêt une utilité lorsque le souscripteur souhaite transmettre son patrimoine à son conjoint et à ses enfants à moindre coût.


Les avantages de la clause bénéficiaire démembrée

    Protection de l’usufruitier tout en organisant la transmission aux nus-propriétaires.

    • Désignation simultanée de plusieurs bénéficiaires sans double imposition.

    • La créance de restitution est un passif dans la succession de l’usufruitier, elle diminue ainsi l’assiette taxable aux droits de succession.


Points d’attention de la clause bénéficiaire démembrée

Il convient d’accorder une attention particulière à la rédaction de cette clause pour éviter tout conflit entre le(s) usufruitier(s) et le(s) nu(s)-propriétaire(s). Les nus-propriétaires ne « touchent » rien au décès du souscripteur mais doivent s’acquitter de la fiscalité, calculée au prorata de la valeur de la nue-propriété. En pratique, l’assureur prélève les droits sur le capital avant de le verser à l’usufruitier : celui-ci est alors théoriquement en droit de réclamer aux nus-propriétaires le remboursement des sommes prélevées (sommes dont les nus-propriétaires ne disposent pas toujours). Pour éviter tout risque de conflit, l’assuré peut alors préciser, dans la clause bénéficiaire, que le montant des droits dus par l’usufruitier au nom et pour le compte des nus-propriétaires sera déduit de leur créance de restitution.

Nous conseillons également d’enregistrer une convention constatant l’existence de cette créance de restitution afin de lui donner date certaine.

Les conseillers Meilleurtaux Placement se tiennent à votre disposition pour vous accompagner dans la rédaction de votre clause bénéficiaire afin qu’elle soit alignée avec vos objectifs et votre situation.


Un exemple chiffré

Philippe ouvre un contrat d’assurance vie avant ses 70 ans. Il y verse 300 000 €, et il désigne comme bénéficiaires son épouse Carole comme usufruitière, et sa fille Emma comme nue-propriétaire.

Au décès de Philippe, les capitaux décès s’élèvent à 400 000 €. Son épouse Carole a 79 ans au moment du décès de son époux. Le calcul de la fiscalité sur cette transmission s’effectue de la manière suivante :

    • Selon le tableau prévu à l’article 669 CGI, la valeur de l’usufruit est de 30%, et la valeur de la nue-propriété est de 70%.

    • L’épouse Carole va percevoir les 400 000 € et aucun impôt ne sera dû en vertu de la loi TEPA de 2007 qui prévoit une exonération totale de fiscalité en cas de transmission entre époux.

    • La valeur de la nue-propriété sur ces capitaux décès est de 280 000 €. Il faut ensuite déduire l’abattement spécifique à l’assurance vie de 152 500 € au prorata de la nue-propriété soit 106 750 € (152 500 € x 70%). L’assiette taxable au prélèvement de 20% est de 173 250 €. Emma devra acquitter un impôt de 34 650 € sur un capital de 400 000 € qu’elle a vocation à recevoir au décès de sa mère..

    • Dans l’hypothèse d’une clause bénéficiaire classique sans démembrement, la pression fiscale subit par sa fille Emma aurait été de 49 500 € (400 000 € - 152 500 €) x 20%). Cela correspond à une hausse de taxe de près de 43% par rapport à l’impôt avec la clause bénéficiaire démembrée.

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La donation de la nue-propriété d’un contrat de capitalisation avec réserve d’usufruit

Le contrat de capitalisation est une solution d’investissement similaire à l’assurance-vie dans son fonctionnement mais les quelques différences ont leur importance.

    • Il n’y a pas de clause bénéficiaire dans un contrat de capitalisation : au décès du souscripteur le contrat est transmis aux héritiers selon les règles de dévolution successorale.

    • Le contrat de capitalisation ne fait pas l’objet d'une attention particulière au moment de la transmission. La valeur du contrat intègre l’assiette taxable de l’actif successoral avec application des droits de mutation à titre gratuit classique.

    • Le décès du souscripteur n’entraîne pas le dénouement du contrat. Les héritiers récupèrent donc le contrat tel quel, libres à eux de procéder à un rachat sur ce contrat pour récupérer une somme d’argent.

    • Enfin, contrairement à l’assurance-vie, le contrat de capitalisation peut être souscrit en démembrement, ou bien faire l’objet d’une donation en cours de vie du contrat. Tout comme nous pouvons donner la nue-propriété de sa maison à un enfant, il est possible de donner la nue-propriété d’un contrat de capitalisation à la personne de son choix.

Cette donation en démembrement où le souscripteur conserve l’usufruit et donne la nue-propriété a pour objectif de préparer la transmission dans un contexte fiscal avantageux tout en évitant de se dépouiller intégralement.

Dans son commentaire publié le 26 septembre 2024, l’administration fiscale indique la donation de la nue-propriété d’un contrat de capitalisation n’est pas concernée par le dispositif anti-abus car le contrat de capitalisation n’est pas assimilé à une somme d’argent. La conservation de l’usufruit ne constitue donc pas un quasi-usufruit.

§ 210 “En revanche, lorsque les droits d’usufruit réservé et de nue-propriété du bien démembré sont [...] reportés par subrogation [...] sur un bien autre qu'une somme d’argent (tel qu’un contrat de capitalisation, des valeurs mobilières, des crypto-actifs, un compte courant d'associé, etc.), le report ne crée pas de dette de restitution portant sur une somme d’argent au sens des dispositions de l’article 774 bis du CGI.”

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La donation de la nue-propriété du contrat de capitalisation ne fige pas la situation. L’usufruitier et le nu-propriétaire peuvent s’accorder pour procéder au rachat total du contrat de capitalisation.

3 hypothèses sont alors envisageables :

1. Subrogation du démembrement sur un autre bien

L’usufruitier et le nu-propriétaire décident de reporter le démembrement sur une nouvelle acquisition. Grâce aux fonds retirés du contrat de capitalisation, ils peuvent acquérir un bien immobilier ou des parts de SCPI par exemple. L’usufruitier aura le droit d’utiliser le bien immobilier ou de percevoir les revenus locatifs. Le nu-propriétaire sera quant à lui toujours un “propriétaire en devenir”. Le dispositif anti-abus de l’article 774 bis du CGI n’a pas vocation à s’appliquer puisqu’il n’y a pas de quasi-usufruit. Le démembrement porte sur un bien non consomptible.

2. Répartition du prix de vente entre l’usufruitier et le nu-propriétaire

Les deux parties peuvent finalement décider de mettre fin au démembrement. Les capitaux sont remis à l’usufruitier qui se charge de les répartir au prorata des droits de chacun (en appliquant le barème économique ou barème fiscal). Là non plus, le dispositif anti-abus ne s’applique pas car le démembrement a pris fin.

3. Attribution à l’usufruitier d’un quasi-usufruitier

Dans cette hypothèse, l’usufruitier décide de conserver l’intégralité des fonds sous la forme d’un quasi-usufruit. Le nu-propriétaire devient alors titulaire d’une créance de restitution à percevoir au décès du quasi-usufruitier. Le dispositif anti-abus a vocation à s’appliquer car un quasi-usufruit a été créé. La créance de restitution ne sera donc pas déductible de l’actif successoral, à moins que l’usufruitier parvienne à démontrer l’objectif non principalement fiscal de l’opération.

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