Capitalisation et retraites : une réponse au manque de financement des entreprises ?
par Ilan Free, analyste ECM EuroLand Corporate
Après des mois de négociations, le gouvernement a fini par arracher un budget, mais au prix d’un compromis sérieux. La réduction du déficit à 5 % du PIB en 2025 a été revue à 5,4 %, tandis que la croissance anticipée s’effrite à 0,9 %. Un compromis fragile qui laisse peu de marge pour absorber les déséquilibres structurels.
Et le système de retraites est en première ligne. Officiellement, le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) estime son déficit à 14 milliards d’euros en 2030. Mais François Bayrou dénonce une sous-estimation massive et avance un chiffre bien plus inquiétant : 50 milliards d’euros par an, soit 500 milliards d’euros de dette accumulés en dix ans.
Pourquoi une telle différence ? Parce que l’État en tant qu’employeur surcotise massivement pour financer les retraites de ses fonctionnaires. Concrètement, les cotisations retraite atteignent 78 % du salaire brut dans la fonction publique d’État, contre 27 % dans le privé. Une charge en parti financée par les contribuables, qui creuse encore davantage la dette publique.
Face à cette impasse budgétaire, la question dépasse la seule viabilité du système : comment mobiliser intelligemment une partie de ces cotisations pour qu’elles ne soient plus uniquement une charge, mais deviennent un moteur économique ?
Une manne financière sous-exploitée
Chaque année, 330 milliards d’euros de cotisations retraite sont directement redistribués en pensions, alimentant la consommation – loyers, santé, alimentation, loisirs – mais sans générer d’investissement productif.
Dans le même temps, les entreprises françaises manquent de financement. Seuls 32 milliards d’euros ont été investis en capital-investissement en 2023, bien loin des besoins pour la transition énergétique, la réindustrialisation ou la souveraineté technologique.
Les ressources existent, mais elles sont mal orientées. D’autres pays ont su transformer leurs systèmes de retraite en leviers d’investissement. Le fonds souverain norvégien, par exemple, a dégagé 168 milliards d’euros de gains en six mois en 2024, atteignant 214 milliards sur l’année. Certes, il ne finance pas directement les retraites, mais il constitue une réserve stratégique réinjectée dans l’économie à long terme.
À l’inverse, la France reste l’un des seuls pays développés à ne disposer d’aucune réserve pour son système de retraite, préférant un financement au fil de l’eau à rendement quasi nul, qui alourdit chaque année un peu plus les prélèvements sur le travail.
Une transition maîtrisée, un impact durable
Loin d’une révolution brutale, la transition vers la capitalisation pourrait s’opérer progressivement en combinant plusieurs leviers de financement.
La première option consisterait à dédier progressivement une part des cotisations retraite à un fonds d’investissement, à hauteur de 1 % par an pour atteindre 20 % en 20 ans. Ce transfert pourrait s’opérer par plusieurs leviers :
- Une désindexation des pensions, pour limiter l’effet inflationniste et réduire la pression sur les finances publiques.
- Une surcotisation temporaire des actifs, afin d’amorcer le fonds tout en maintenant le niveau des pensions pour les retraités n’ayant pas capitalisé.
- Une réaffectation progressive d’une fraction des cotisations existantes, en ajustant les paramètres des régimes complémentaires.
En parallèle, un recours ciblé à la dette pourrait être envisagé. Néanmoins, la situation de surendettement de la France et l’environnement de taux élevés rendent cette hypothèse difficilement viable.
Enfin, la cession de certaines participations de l’État dans des entreprises non stratégiques pourrait fournir une injection initiale de capital dans le fonds, à l’image du modèle chilien. Une telle opération garantirait une montée en puissance rapide du dispositif sans peser directement sur le pouvoir d’achat des actifs ou sur la stabilité budgétaire.
Dès la première année, 3 milliards d’euros pourraient être injectés dans des actifs productifs. En 2035, ce serait 30 milliards d’euros d’épargne nouvelle mobilisés pour cette seule année – soit autant que l’ensemble du capital-investissement en France en 2023 ! À horizon 20 ans, 60 milliards d’euros par an pourraient financer les entreprises françaises, soutenir l’innovation et accélérer la transition énergétique.
Vers un modèle équilibré et résilient
L’intégration progressive de la capitalisation ne remettrait pas en cause la solidarité intergénérationnelle, mais constituerait une réponse pragmatique aux défis actuels. Un modèle hybride offrirait plusieurs avantages :
- Une meilleure sécurisation des pensions, en diversifiant les sources de financement. Contrairement à la répartition, qui repose entièrement sur les cotisations des actifs, la capitalisation permet d’accumuler des réserves et de générer des rendements. Depuis 1990, les placements en capitalisation ont affiché un rendement moyen de 6,5 % par an, bien que ces performances restent soumises aux cycles économiques (source).
- Un soutien accru à l’investissement et à la croissance de la France, en orientant une partie des cotisations vers des secteurs stratégiques, sous réserve d’une gestion prudente et diversifiée.
Un levier stratégique pour l’économie française
Mobiliser l’épargne nationale est une nécessité. Aujourd’hui, près de la moitié du capital des grandes entreprises françaises est détenue par des investisseurs étrangers. À fin 2023, les non-résidents possédaient 49,5 % des actions des sociétés du CAC 40, soit 1 093 milliards d’euros sur une capitalisation totale de 2 207 milliards d’euros (source Banque de France). Cette dépendance aux capitaux étrangers fragilise notre souveraineté économique et limite les marges de manœuvre des entreprises françaises.
Un fonds de capitalisation adossé aux retraites permettrait de réduire cette dépendance, en réorientant une partie de l’épargne nationale vers le financement des entreprises françaises, au lieu de les laisser sous contrôle d’investisseurs internationaux.
Si le financement des retraites reste un défi majeur, il n’est pas une fatalité. Plutôt que de s’enfermer dans une opposition stérile entre répartition et capitalisation, une réforme progressive permettrait d’activer un levier financier puissant, capable d’alléger la pression sur les comptes publics tout en dynamisant l’investissement.
Loin d’un bouleversement brutal, cette approche offrirait une solution pragmatique : sécuriser les pensions tout en finançant l’avenir du pays.
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