Participation, intéressement, dividendes… le capitalisme social du SBF120
par Ilan Free, ECM Analyst chez Euroland Corporate
Lorsqu’en 1967, le général de Gaulle introduisit la participation obligatoire aux résultats de l’entreprise, il entendait instituer une forme de « troisième voie » entre capital et travail. Loin de l’étatisation ou du collectivisme, cette mesure visait à associer les salariés à la prospérité économique, par un mécanisme de redistribution automatique. Cinquante ans plus tard, cette intuition politique trouve une résonance particulière : loin d’être un simple gadget social, le partage du profit est devenu une composante majeure du contrat social au sein des grands groupes français.
Le baromètre 2025 publié par Eres le confirme : en 2024, les entreprises du SBF120 ont redistribué 6,87 milliards d’euros à leurs salariés sous forme de participation, intéressement et abondement. À cela s’ajoutent près d’un milliard de dividendes versés aux actionnaires salariés, portant l’enveloppe moyenne totale à près de 7 000 euros par collaborateur. Loin de l’image d’un capitalisme indifférent, le SBF120 illustre au contraire une dynamique de redistribution silencieuse, mais réelle.
I – Un héritage gaullien transformé en culture de la redistribution
La participation fut, à son origine, un outil d’ingénierie sociale et politique. Aujourd’hui, c’est l’intéressement qui domine. Or, celui-ci n’a rien d’une obligation : il relève d’une démarche volontaire des entreprises. Le baromètre Eres souligne qu’il est devenu, pour la troisième année consécutive, la première source de primes collectives. Le capitalisme français a intériorisé l’idée qu’associer les salariés aux performances constitue non seulement un facteur de cohésion, mais aussi un levier d’efficacité économique.
II – De la redistribution mécanique à une équité repensée
Pendant longtemps, mesurer le « partage du profit » se résumait à additionner les montants versés. Mais cette lecture en valeur absolue favorise mécaniquement les géants les plus rentables, sans toujours refléter l’effort consenti. C’est précisément pour dépasser cette limite qu’a été créé en 2025 l’indice EquiProfit, qui rapporte les primes distribuées au résultat net et à l’EBITDA.
Ce changement de focale rappelle les débats qui animaient déjà les années 1960, lorsque de Gaulle voulait imposer la participation comme un mécanisme proportionnel, lié à la performance réelle de l’entreprise, et non comme une gratification arbitraire.
Les résultats du baromètre en témoignent : en montant absolu, le luxe domine avec plus de 9 500 euros de primes collectives par salarié. Mais en proportion, c’est le BTP qui se distingue : 16 % de son résultat redistribué à ses équipes, contre seulement 2 % dans le luxe.
III – L’actionnariat salarié, ou la lente maturation d’un capitalisme social
Si les primes collectives traduisent une redistribution immédiate, l’actionnariat salarié incarne, lui, une forme de partage durable. En 2024, plus de 2,34 millions de salariés du SBF120 détenaient une part du capital de leur entreprise, pour un encours total de 74,3 milliards d’euros, soit en moyenne 31 752 euros par personne.
Ce mouvement est le fruit d’une construction par étapes. Dans les années 1980, les grandes vagues de privatisations ont souvent réservé une fraction du capital aux employés, leur permettant d’acheter des actions à prix préférentiel : c’est ce qu’on appelait les parts réservées. Une manière d’ancrer dans la culture française l’idée que le salarié peut aussi être actionnaire.
Au début des années 2000, la dynamique a pris une autre dimension avec les FCPE d’actionnariat salarié (fonds communs de placement d’entreprise). Concrètement, ces véhicules collectent l’épargne des salariés pour investir en actions de leur société. L’intérêt est double : ils mutualisent la gestion et donnent un poids collectif aux employés dans le capital, parfois significatif.
Aujourd’hui, cette pratique a atteint une maturité incontestable. Dans certains secteurs comme le BTP, les salariés détiennent plus de 11 % du capital de leur entreprise ; dans le luxe, à peine 1 %. Mais quelle que soit la proportion, l’effet est concret : en 2024, les collaborateurs du SBF120 ont perçu 970 millions d’euros de dividendes.
L’actionnariat salarié n’est plus un symbole, mais un véritable levier de patrimoine et d’appartenance. Il prolonge, à sa manière, l’intuition gaullienne de la participation : faire du salarié non seulement un bénéficiaire de primes, mais un copropriétaire à part entière de la richesse créée.
Conclusion
Le constat est sans appel : le capitalisme français, du moins dans sa version SBF120, est déjà social. Non pas par injonction politique, mais par une combinaison de tradition gaullienne, de volontarisme managérial et de maturation progressive des dispositifs d’épargne.
L’histoire retiendra peut-être que la France, patrie de l’État-providence, aura aussi su développer un modèle original de redistribution par l’entreprise. Dans un pays où l’on débat sans fin du « partage de la valeur », les chiffres rappellent que ce partage existe déjà, qu’il se mesure et qu’il croît.
EuroLand Corporate, premier Listing Sponsor du marché Euronext Growth Paris, accompagne plus de 60 sociétés cotées, dont 37 en qualité de Listing Sponsor, dans leur stratégie de structuration et d’optimisation de leur communication financière.
Inscrivez-vous ou inscrivez un ami à la newsletter d'Euroland Corporate