Rapport EY: la France, toujours attractive ? Par Ilan Free, analyste ECM chez EuroLand Corporate
Il fut un temps, pas si lointain, où la France s’affichait fièrement comme l’égérie des investisseurs étrangers. À grands renforts de tapis rouges et de discours savamment orchestrés, le sommet Choose France offrait chaque année son défilé de chefs d’entreprise internationaux dans le cadre fastueux de Versailles. Mais aujourd’hui ses atouts indéniables semblent menacés.
Avec la publication du dernier baromètre EY le 18 novembre 2024, qui arrive six mois après une dissolution surprise de l’Assemblée nationale, une question s’impose : la France est-elle encore à la hauteur de ses promesses, ou son attrait commence-t-il à s’effriter ?
Choose France : vitrine dorée d’une attractivité à la peine ?
Depuis son lancement en 2018 à l’initiative d’Emmanuel Macron, Choose France est devenu le point d’orgue annuel du "soft power" économique français. L’édition 2024, qui s’est tenue en début d’année, n’a pas dérogé à la règle : 56 projets, 15 milliards d’euros d’investissements annoncés, et la promesse de 10 000 emplois créés. Si ces chiffres font encore rêver, le dernier baromètre EY vient rappeler que l’attractivité française n’est pas une évidence gravée dans le marbre.
Le contexte n’aide pas : la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 a plongé le pays dans une incertitude politique qui refroidit les ardeurs des investisseurs. Résultat ? 50 % des dirigeants internationaux interrogés par EY estiment que l’attractivité de la France s’est détériorée, et près de la moitié ont mis leurs projets d’investissement sur pause. Un coup dur pour notre pays, qui a fait de l’attractivité un des piliers de sa politique depuis sept ans.
Un diagnostic sans concession
L’analyse des investisseurs est sans appel. Pour eux, trois points noirs majeurs viennent ternir l’attractivité de la France :
1/ L’instabilité législative et réglementaire
Avec 59 % des dirigeants étrangers citant l’incertitude législative comme leur principale inquiétude, le constat est sans appel. L’Assemblée nationale, sans majorité claire – une première sous la Vème République – est fragmentée en trois blocs irréconciliables. L’équilibre précaire actuel suppose une abstention du Rassemblement National dans les motions de censure, mais cette posture montre des signes de fragilité. La forte probabilité d’un recours au 49.3 pour faire adopter le Projet de Loi de Finances 2025, une fois finalisé par le Sénat et la Commission Mixte Paritaire, accentue cette perception d’instabilité.
2/ Le ralentissement des réformes
Allant de pair avec l’instabilité politique, le ralentissement des réformes est perçu comme un autre signal d'alarme. Près de 47 % des investisseurs interrogés dénoncent l'absence de nouvelles réformes ambitieuses, pourtant nécessaires pour maintenir le cap économique. Les efforts passés – comme la baisse de l’impôt sur les sociétés ou la simplification fiscale – semblent aujourd’hui au point mort. Les réformes clés sur le chômage, la fonction publique ou la transition écologique restent en suspens, tandis que la réindustrialisation et les lois sur l’industrie verte peinent à décoller dans un climat de désaccords politiques.
3/ Les tensions fiscales et budgétaires
Entre les 40 milliards d’économies annoncées et le spectre de hausses d’impôts, la France peine à rassurer les investisseurs. L’incertitude fiscale, exacerbée par le coût du travail élevé, complique leur capacité à se projeter. Les interrogations sur l’avenir de dispositifs essentiels comme le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) ou le pacte Dutreil renforcent ce climat de défiance.
Source : Baromètre EY de l’Attractivité de la France 2024 : enquête auprès de 98 dirigeants internationaux (3-21 octobre 2024)
Les cinq piliers du salut
Pour autant, tout n’est pas perdu. Selon EY, 57 % des dirigeants croient encore en la capacité de la France à redresser son attractivité, mais à une condition : respecter cinq priorités clairement identifiées.
1/ Ne pas toucher aux totems fiscaux
Le Crédit Impôt Recherche (CIR), le taux d’impôt sur les sociétés à 25 %, et les allègements de charges sont les piliers de l’attractivité française. Selon EY, ces dispositifs doivent rester intouchables, leur remise en cause pouvant fragiliser l’ensemble du modèle économique.
2/ Réduire les dépenses publique
Les investisseurs souhaitent une gestion stricte des budgets, associant l’État, les collectivités locales et les opérateurs publics, pour rationaliser les dépenses sans compromettre la croissance ni l’innovation.
3/ Réindustrialiser avec sérieux
La réindustrialisation passe par des réformes comme le Projet de Loi de Simplification et le Projet de Loi Industrie Verte II, pour simplifier les démarches et accélérer la transition écologique. Le rapport Draghi de juillet 2023 souligne la nécessité de mettre en place une stratégie industrielle européenne coordonnée, essentielle pour garantir la souveraineté et renforcer les chaînes de valeur. Appliquer ses recommandations est clé pour inscrire la France dans cette dynamique, tout en rassurant sur le plan France 2030 pour soutenir les filières stratégiques.
4/ Clarifier et simplifier la transition énergétique
Seuls 12 % des dirigeants interrogés voient la politique climatique française comme un atout distinctif. Pour renforcer la décarbonation industrielle et améliorer sa perception par les investisseurs, il est recommandé de :
• simplifier les processus de soutien en s’inspirant, par exemple, de l’Inflation Reduction Act américain : conditionnalités allégées, financement via subventions et crédits d’impôt, visibilité à long terme sur les réglementations et appels à projets,
• clarifier certains dispositifs comme MaPrimeRenov, et
• lancer rapidement la construction de nouveaux EPR2.
5/ Miser sur l’innovation et le capital humain
Les investisseurs appellent à accompagner les PME et ETI dans la modernisation de leurs outils numériques tout en renforçant la formation pour répondre aux besoins technologiques des entreprises.
Le défi des tensions internationales
Dans un monde où les puissances s’affrontent sur le terrain économique, la France semble hésiter entre engagement et isolement. Les récentes élections aux États-Unis, marquées par la victoire de Donald Trump, ont ravivé les craintes d’un retour à une ère de protectionnisme. Bien qu’il ne soit pas encore en fonction, son programme laisse présager un durcissement des relations commerciales avec la Chine et l’Europe, accentuant les incertitudes pour les acteurs économiques mondiaux. La question n’est pas de savoir si Trump agira, mais quand et avec quelle intensité.
De l’autre côté du Rhin, l’Allemagne, pourtant moteur économique de l’Europe, montre des signes de fébrilité. La rupture de l’alliance politique entre les Verts et les Libéraux a précipité des élections anticipées, plongeant Berlin dans une période d’instabilité politique. Mais l’enjeu dépasse la seule politique intérieure : son industrie, fortement dépendante des exportations, reste étroitement liée à la Chine. Cette dépendance rend l’Allemagne particulièrement vulnérable, l’obligeant à des compromis souvent en décalage avec les intérêts européens. Lorsque BASF investit massivement en Chine ou que Volkswagen fait de Pékin un pilier stratégique, ce n’est pas pour protéger la souveraineté industrielle de l’Europe, mais bien pour préserver les marges germaniques à court terme.
Et que fait la France ? Sur la scène mondiale, elle adopte une position singulière qui pourrait accentuer son isolement. Prenons l’exemple de l’accord de libre-échange avec le MERCOSUR : alors que ce pacte offrirait un accès privilégié à un marché de plus de 280 millions de consommateurs en Amérique latine, Paris s’y oppose fermement, invoquant des préoccupations environnementales et sanitaires. Une posture qui semble davantage motivée par des considérations politiques que purement économiques.
À l’heure où les États-Unis concluent des accords bilatéraux avec plusieurs pays de la région et où la Chine renforce sa présence économique en Amérique latine, cet accord pourrait permettre à l’Europe d’affirmer son influence. Il offrirait également un cadre pour exporter des normes européennes en matière de qualité, de sécurité et d’environnement tout en ouvrant de nouvelles opportunités pour certains secteurs stratégiques.
Dans un contexte où l’Europe peine à se coordonner et où les grandes puissances avancent leurs pions, la France peut-elle encore se permettre d’être une voix dissonante ? Chaque décision prise dans une logique strictement nationale risque d’accentuer son isolement, alors que le monde, lui, avance.
Une France à la croisée des chemins
Le baromètre EY le souligne : la France conserve des atouts indéniables, mais son attractivité est fragile. Pour rester une destination de choix pour les investisseurs, elle devra démontrer qu’elle est capable de surmonter ses incertitudes politiques et économiques tout en répondant aux grandes attentes en matière de compétitivité, de réindustrialisation et de transition écologique. Le défi est immense, mais le potentiel est là. À elle de transformer ses promesses en réalité.
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